Les îlots de chaleur urbains, des zones urbaines où les températures sont anormalement élevées, représentent un risque, tant sanitaire qu’environnemental, grandissant avec le réchauffement climatique. Des solutions biomimétiques peuvent permettre de faire face à ces îlots de chaleur !
L’augmentation de la température en ville
Ces dernières années, les canicules ont pu rendre la vie en ville désagréable voire dangereuse. Malheureusement, ces phénomènes sont voués à se multiplier et à s’intensifier comme le prévoit le dernier rapport du GIEC (multiplication par 10 des épisodes caniculaires). Par ailleurs, les populations ne cessent de se concentrer en ville. Ces deux aspects nous invitent de plus en plus à considérer le phénomène d’îlots de chaleur urbains, à en déceler les causes et à proposer des solutions.
Mais qu’est ce qu’un îlot de chaleur urbain ? C’est une augmentation localisée dans les villes des températures maximales par rapport aux zones rurales ou forestières environnantes ou aux températures régionales moyennes. Le phénomène n’est pas nouveau ! Et il n’est pas a priori à imputer au changement climatique : déjà au XIXè siècle, le météorologue Luke Howard étudiait cette élévation de température dans les rues de Londres. Mais c’est surtout à partir des années 1960 avec le développement de l’informatique et de capteurs que le phénomène a été mieux compris. Cet article est l’occasion pour nous de vous présenter les causes identifiées de ce phénomène et de proposer des solutions !
En moyenne, la température en ville est supérieure de 1,5 à 5°C pendant la nuit. Le record actuel est détenu par Phoenix en Arizona, avec une différence s’élevant à 10°C la nuit, entre son centre et sa périphérie ! Cette élévation anormale représente alors un risque réel : outre la dangerosité des canicules, cette augmentation de température favorise l’augmentation de la pollution et peut occasionner des maladies graves.
La chaleur, quand elle arrive en ville
Îlots de chaleur urbains : sol en béton, soleil de plomb
L’élévation de la température est beaucoup plus marquée la nuit. L’explication tient en plusieurs points :
Urbanisation : les constructions urbaines absorbent bien plus d’énergie que si le milieu était resté naturel. La raison est simple : les matériaux utilisés (goudron, béton) sont souvent beaucoup plus sombres que la végétation. Ceux-ci réfléchissent moins la lumière du soleil et au contraire, l’absorbent. Or toute lumière qui est absorbée élève la température du matériau absorbé. Par conséquent, la nuit, les matériaux ayant chauffé toute la journée réchauffe l’air en émettant de l’énergie sous forme de rayonnement infrarouge.
Perte de végétation : bien évidemment, la perte de végétation va de paire avec l’urbanisation. D’une part, les feuillages apportent de l’ombre donc réduisent la température au sol mais c’est surtout le phénomène d’évapotranspiration des plantes qui manque aux villes très urbanisées. Évapo quoi ? Évapotranspiration ! Vous le savez peut-être déjà, les végétaux réalisent la réaction chimique de la photosynthèse pour se développer et survivre. Elle fait réagir de l’eau puisée dans la terre par les racines et du CO2 présent dans l’atmosphère pour produire du sucre (pour se développer), du dioxygène (que nous respirons) et de la vapeur d’eau. C’est parce que les végétaux relâchent de l’eau sous forme de vapeur que l’on parle d’évapotranspiration, de la même manière que les humains transpirent de l’eau ! Pour donner un ordre de grandeur, on parle de trillions de tonnes d’eau qui sont évaporées par les plantes chaque année ! Pour effectuer la photosynthèse (et donc l’évapotranspiration), les plantes ont besoin d’énergie extérieure : rien de mieux que le rayonnement solaire ! Et le lien avec la température de la ville, dites-vous ? Dans un milieu rural, le rayonnement solaire est utilisé pour réaliser une réaction chimique dans le cas des végétaux (leur température ne monte pas) alors que, dans le cas d’un milieu urbanisé, le rayonnement est simplement absorbé par les matériaux. En définitive, dans le cas d’un milieu rural, l’énergie est donc utilisée pendant la journée et n’est pas restituée sous forme de chaleur pendant la nuit. Plus généralement, les surfaces imperméables (béton, bitume…) emmagasinent bien plus la chaleur que les sols naturels.
Intensification des activités humaines et concentration en ville : les industrie, moteurs, chaudières, systèmes de climatisation, eaux chaudes circulant dans les égout, etc sont particulièrement concernés. L’impact des activités humaines est non négligeable mais bien plus faible que l’augmentation de la température due à l’urbanisation et à la perte de végétation. En comparaison, l’irradiation solaire est de l’ordre de 800 W/m² contre quelques dizaines W/m² pour les activités humaines, soit un facteur de presque 100. Cette faible puissance peut tout de même générer une augmentation de température de l’ordre d’un degré dans des villes comme Tokyo. Ce ne sont que des ordres de grandeur mais cela permet de prioriser les recherches et les actions à mener pour résoudre le problème des îlots de chaleur !
Chaleur et urbanisme
Incroyable mais vrai ! En 2013, un rétroviseur d’une voiture londonienne a partiellement fondu seulement à cause de la réflexion des rayons lumineux sur un bâtiment. En effet, sa façade concentre particulièrement la lumière en raison de sa courbure.
Cet épisode qui peut paraître anecdotique nous invite surtout à appréhender le phénomène à une échelle plus fine : comment la forme, la taille et l’organisation des bâtiments au sein de la ville ont une influence sur la formation des îlots de chaleur ?
Au cours des dernières décennies, la multiplication des capteurs météorologiques dans les villes a permis de comprendre avec finesse le phénomène d’îlot de chaleur urbain. Des projets météorologiques de grande envergure ont ainsi vu le jour dans des grandes villes telles que Toulouse, Marseille ou encore Paris. En particulier, la collecte d’informations issus de systèmes météo personnels et connectés permet de mesurer avec précision la variation de température en fonction de la localisation dans une ville. En particulier, il a été remarqué que les phénomènes d'îlot de chaleur urbain sont variables selon les villes. C’est ce à quoi s’est intéressé une équipe de chercheurs du MIT et du CNRS. Ils ont notamment développé les concepts de villes cristallines et liquides, en s’inspirant de la différence à l’échelle atomique des structures d’un cristal et d’un liquide : le premier est ordonné alors que le second est désordonné. Les villes “cristallines”, à l’image de la majorité des villes américaines comme New York, ont une structure “quadrillée” (rues droites parallèles et perpendiculaires) et emmagasinent plus la chaleur que les villes “liquides” comme Londres, dont la structure est bien plus chaotique et désorganisée. La raison est assez simple : la chaleur se "réfléchit" davantage dans une structure rectiligne et ordonnée comparé à une structure désordonnée.
Une autre explication aux îlots de chaleur, qui explique également la différence d’intensité du phénomène selon les villes, est la hauteur des bâtiments. Outre la plus grande superficie de matériaux de construction qui emmagasinent davantage la chaleur, les hauts bâtiments empêchent l’air de se refroidir la nuit. En effet, la nuit, l’air est en moyenne brassé jusqu’à une altitude 5 fois inférieure qu’en journée. Par conséquent, les hauts bâtiments émettent de la chaleur en infrarouge qui réchauffe l’air et les bâtiments voisins alors que l’air de la ville se renouvelle beaucoup moins. En définitive, le refroidissement est plus lent qu’en campagne.
En conclusion, les gains en précision des mesures et des capacités de modélisations ont permis d’affiner la compréhension du phénomène d’îlot de chaleur urbain et de prendre en compte l’urbanisation comme un paramètre déterminant du phénomène.
Le biomimétisme, un courant d’air frais dans vos étés chauds !
Combattre le coup de chaud grâce à des matériaux plus isolants
Le principe de cette solution est direct : si les matériaux du bâti captent moins la chaleur, le phénomène sera amoindri. Pour cela, on peut utiliser des matériaux qui sont de meilleurs isolants thermiques ! Certains chercheurs proposent de concevoir des murs isolants inspirés de la structure des ailes de manchots ! Pourquoi le manchot, vous dites ? Le manchot papou vit dans un environnement aux températures extrêmes, il a donc besoin de conserver de manière efficace la chaleur. Il est capable de jeûner pendant 120 jours pour couver les œufs sans mourir de froid.
Une façade avec une structure en couches inspirées des plumes des manchots permet d'améliorer l'isolation thermique. Plus précisément, le mur a une structure en couches successives : lorsqu'il y a 2 couches à des températures différentes, chaque couche intermédiaire va réduire la quantité d'énergie perdue par radiation de la source chaude vers la source froide. L'alternance entre des couches extérieures verticales et des couches intermédiaires horizontales reproduit la structure des plumes du manchot : les plumes s'agglomèrent entre elles par les petites plumes de duvet à la base des plumes principales qui s'emmêlent. L’intérêt de cette solution est que la chaleur est moins emmagasinée et que la climatisation est moins utilisée pour refroidir les habitations. Par conséquent, moins de chaleur est rejetée à l’extérieur des bâtiments et l’élévation de la température à l’échelle de la ville est amoindrie.
Végétaliser : quand la ville se met au vert
En réponse à la perte drastique de végétation dans les villes, une solution simple et efficace serait… de rajouter des végétaux dans les villes ! Les villes seraient rafraîchies en créant de l’ombre portée et en favorisant le phénomène d’évapotranspiration. C’est d’ailleurs une tendance dans certaines villes : 20 000 arbres ont été plantés dans Paris entre 2014 et 2020.
Une solution, proposée par XTU architecte, est de recouvrir les façades de bâtiments de micro-algues. Ceci a pour effet de créer un tampon d’isolation thermique et donc de diminuer la consommation énergétique jusqu’à 50%.
En plus de cela, ces façades améliorent la qualité de l’air urbain ! Comme vous le savez sûrement, l’air que nous respirons en ville contient de nombreux polluants néfastes pour notre santé : les oxydes d'azote, les particules fines, les composés organiques volatils. En particulier, les seuils suggérés par l’Organisation Mondiale de la Santé et l’Union Européenne sont régulièrement dépassés pour ces trois catégories de polluants. Il faut donc agir rapidement ! En l’occurrence, les algues dégradent les polluants organiques et dépolluent ainsi l’air urbain.
Ces façades ont donc une double fonction : rafraîchir la ville avec le phénomène d’évapotranspiration et dépolluer !
Une autre solution vient tout droit de l’entreprise Urban Canopee qui propose des structures végétalisées pour rafraîchir la ville ! Leur mobilier feuillu permet d’apporter de l’ombre et de la fraîcheur dans les quartiers où les sols sont imperméables, rendant impossible la plantation d’arbres naturels.
Miroir, mon beau miroir, dis-moi qu’il fait moins chaud dehors !
Une piste innovante pour refroidir les bâtiments est le refroidissement radiatif passif ! Pour comprendre le mécanisme derrière ces technologies il nous faut s’entendre sur un point : comme dit précédemment, chaque corps (humain, bâtiment..) porté à une température émet de l’énergie sous forme de rayonnement électromagnétique. Mais le rayonnement électromagnétique, c’est vaste non ? Oui ! Mais le corps n’émet pas un rayonnement de même intensité pour tous les types d’ondes électromagnétiques (définies par leurs longueurs d’onde). En particulier, la longueur d’onde pour laquelle le rayonnement est d’intensité maximale dépend de la température du corps ! Ceci étant dit, les corps à température ambiante émettent essentiellement dans l’infrarouge (longueur d’onde supérieure à 800 nanomètres). Or, en raison de la composition chimique de l’atmosphère, les rayons infrarouges ne sont que très peu absorbés par les atomes qui la composent. Conclusion : les corps émettent des rayons qui sont transmis par l’atmosphère et qui réchauffent donc l’espace. Eux, se refroidissent ! C’est pourquoi on parle de refroidissement radiatif passif.
Cette stratégie de refroidissement est présente dans la nature ! Un exemple édifiant est celui du papillon comète de Madagascar et son cocon. Ces papillons vivent dans un environnement très chaud et humide. La température de leurs cocons ne peut pas être trop élevée au risque de tuer les nymphes à l’intérieur.
Deux mécanismes leur permettent de refroidir la température interne à leur cocon : la réflexion des rayonnements du soleil et la réémission de l’énergie par rayonnement infrarouge (le refroidissement radiatif passif donc).
L’Université de Colombia s’est inspirée de ce papillon pour concevoir un fin revêtement reproduisant la structure en nanofibres lacunaires du cocon. Le revêtement favorise les deux principes évoqués ci-dessus : réflexion des rayonnements solaires et émission dans l’infrarouge. Mais ce n’est pas un exemple isolé. De nombreux revêtements inspirés d’animaux qui vivent dans des environnements très chauds fonctionnent sur ce principe. De tels revêtements permettent de refroidir les bâtiments, jusqu’à 19% pour les plus performants d’entre eux.
De la même manière que les façades végétalisées, cette solution présente un avantage majeur : concilier urbanisation et fraîcheur urbaine en utilisant le bâti pour refroidir les villes.
L'urbanisme : la cause et la solution ?
Nous avons vu ci-dessus que l’aménagement des villes a un réel impact sur la rétention de la chaleur dans les villes. Deux pistes de réflexions ont donc été identifiées :
Favoriser les “villes liquides” désorganisées par rapport aux "villes cristallines" quadrillées.
Éviter la création de hauts bâtiments qui limitent la circulation des flux d’airs et qui se refroidissent plus lentement
Ces deux exemples sont des premières pistes qui invitent à approfondir les recherches en termes d’urbanisme pour affiner la compréhension du phénomène et s’adapter pour les futurs aménagements.
Les villes se réchauffent de plus en plus comparées aux zones rurales qui les entourent ! Les îlots de chaleur représentent une conséquence négative réelle de l’urbanisation. Alors que les causes du phénomène sont plutôt bien identifiées, il reste encore beaucoup d’axes à développer en termes de construction et d’architecture, d’urbanisme et de matériaux. Cela tombe bien, le biomimétisme est une source inépuisable d’innovations dans ces domaines !
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