Le Rapport Brundtland signe en 1987 la naissance du développement durable et de la croissance verte. En quoi ce rapport Brundtland est-il encore important aujourd’hui ?
Rapport Brundtland : historique, nécessité et mise en place
L’urgence climatique : état des lieux
Depuis plus de 50 ans, de nombreux scientifiques, associations et groupes alertent les gouvernements et la population sur le changement climatique engendré par l’homme. Depuis le XVIIIe siècle, l’industrialisation et la mondialisation, les émissions de gaz à effet de serre n’ont cessé d’augmenter. Cette accumulation de gaz a pour principale conséquence l’augmentation des températures à la surface de la Terre à l’échelle mondiale.
Depuis des décennies, scientifiques et passionnés de la Nature observent un réchauffement planétaire global, détruisant petit à petit biodiversité et humanité en raison de l’augmentation de la fréquence des catastrophes naturelles (tempêtes, inondations, feux de forêts…), l’augmentation de la température sur les continents comme dans les océans et le niveau de la mer qui monte.
Ce constat ne date pas d’aujourd’hui. L’urgence climatique est réelle et prouvée depuis des dizaines d’années. Cette notion a vu le jour à échelle mondiale dans les années 1970, et une réponse a pris forme grâce au rapport Brundtland près de 20 ans plus tard.
Contexte mondial dans les années 1970
Il y a tout juste 50 ans, les premiers avertissements officiels sur une urgence climatique ont vu le jour avec le rapport Meadows en 1972. Ce rapport est le premier constatant un changement climatique mondial causé par l’homme. Il décrit notamment les dangers humains et environnementaux auxquels nous ferons face si nous persévérons dans la recherche de la croissance économique à tout prix.
Un an après ce premier rapport, en 1973, intervient une crise pétrolière majeure révélant la dépendance aux énergies fossiles des grandes puissances et des populations. Cette crise met ainsi en évidence les dangers (économiques et sociaux) qui attendent l’humanité dans les prochaines années si nous n’agissons pas.
Quelques années plus tard, en 1976, de nombreuses catastrophes causées par l’homme ont eu lieu sur la planète. Des catastrophes environnementales telles que des marées noires ou des catastrophes chimiques (comme la catastrophe de Seveso) ont choqué la population, détruisant la vie et l’environnement.
Enfin, la médiatisation de ces catastrophes à la fin des années 1970 a permis à l’opinion publique d’être au courant de tels événements et de se faire un avis. L’émergence d’une sensibilité mondiale aux enjeux environnementaux est une conséquence majeure de ces années, bien que très balbutiante.
Rapport Brundtland : naissance et objectifs
Le rapport Brundtland (Our Common Future dans la version originale anglaise, traduit par Notre Avenir À Tous) est le rapport final de 400 pages rédigé et publié en 1987 par la Commission mondiale sur l’environnement et le développement (CMED), mise en place par l’Organisation des Nations Unies (ONU). Le rapport Brundtland tient son nom de la présidente de la CMED et première ministre norvégienne à l’époque, Gro Harlem Brundtland. L’objectif de ce rapport était de réunir des pistes de réflexion pour l’avenir dans un seul document, en partant du contexte décrit précédemment et du constat qu’il existe plusieurs “crises” mondiales depuis plusieurs années. Or, “il ne s'agit pas [...] de crises isolées : une crise de l’environnement, une autre du développement, une autre énergétique. Non, de crise, il n’y en a qu’une.” (Rapport Brundtland).
Le rapport Brundtland contient des témoignages, auditions et analyses, recueillis durant 3 ans (à partir de 1983) d’acteurs de tous les pays et continents tels que des représentants politiques, experts scientifiques, laboratoires de recherche, universités, industriels, associations, ONG, et le grand public.
Tous les témoignages proviennent d’audiences publiques enregistrées dans le monde entier et répertoriées dans le rapport Brundtland.
L’idée principale était de cataloguer, compiler et analyser des avis et des études scientifiques en un seul rapport rendu public réunissant toutes les données possibles sur l’état de l’environnement à l’époque. Jusqu’à 75 études scientifiques ont été spécialement commandées en 3 ans par la commission pour compléter le rapport Brundtland.
Rapport Brundtland : les révélations chocs
Les constats du rapport Brundtland : le développement durable, une nécessité
Le rapport Brundtland rassemble les constats d’experts, de scientifiques et des populations afin de les traiter et d’essayer de trouver des solutions. Le diagnostic de la situation environnementale dans les années 1980 est catastrophique. De nombreux problèmes sont mis en lumière comme la désertification, la disparition des forêts, la pollution atmosphérique, l'insuffisance d’eau potable et de moyens d'assainissement, la démultiplication des déchets et la surexploitation des ressources naturelles… Les pays en développement font en plus face à des problèmes économiques majeurs liés à la surpopulation et le surendettement.
Les premiers éléments du rapport Brundtland soulignent l’importance de concilier trois piliers majeurs à l’avenir : l’économie, passant par une croissance, le social, basé sur une forte cohésion, et l’environnement, qui repose sur la protection et la préservation de la nature. Ces trois piliers forment ce qu’on appelle pour la première fois “le développement durable”. Le rapport Brundtland est ainsi le premier à évoquer ce terme et le définit de la manière suivante : “Le développement durable est un mode de développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs.”
Les premières propositions de solutions émises par le rapport Brundtland sont des principes juridiques généraux, de droits et d’obligations par rapport aux ressources naturelles, en prônant des règlements pacifiques des différends entre les États.
Un nouveau rôle pour l’économie mondiale
Trois leçons majeures doivent être tirées du rapport Brundtland.
1. Il faut désormais penser le développement et l’environnement de manière totalement intriquée et inséparable. “L’environnement est le lieu où chacun de nous vit et le développement est ce que nous essayons de faire pour améliorer notre sort à l’intérieur de ce même lieu. Les deux sont inséparables.” (Rapport Brundtland)
Contrairement au Club de Rome et au rapport Meadows, le rapport Brundtland défend une croissance économique mondiale, mais celle-ci devant tenir compte des enjeux environnementaux et sociaux. La conclusion est claire : “Aujourd’hui, ce dont nous avons besoin, c’est une nouvelle ère de croissance économique, une croissance vigoureuse et, en même temps, socialement et environnementalement durable.” Cette partie du rapport sera par la suite critiquée et contredite par d’autres organisations pour la lutte contre le réchauffement climatique (comme le GIEC).
2. Il faut penser les pays du Nord et les pays du Sud comme un ensemble interdépendant, en trouvant des solutions pour tous : c’est le principe d’équité intra-générationnelle. La responsabilité des pays du Nord est reconnue, mais les pays du Sud ne peuvent pas emprunter la même voie destructrice. Il est donc sorti du rapport Brundtland que les pays du Nord sont également responsables d’aider les pays plus pauvres, notamment des pays du Sud, à se développer de manière plus durable qu’ils ne l’ont fait.
3. Il faut penser les générations présentes et futures ensemble : c’est le principe d’équité intergénérationnelle. La qualité de l’environnement et la quantité des ressources naturelles laissées par les aînés aux futures générations est un point de vigilance fondamental. Le message que souhaite faire passer le rapport Brundtland est le suivant : c’est par l’environnement que le développement durable devient durable.
L’héritage du rapport Brundtland : de la conférence de Rio à aujourd'hui
À défaut d’être aujourd’hui la référence contre le réchauffement climatique, le rapport Brundtland a le mérite d’avoir participé au lancement d’un mouvement mondial, dont l’ampleur ne cesse d’augmenter. Ce mouvement est celui d’une prise de conscience, à la fois de la communauté scientifique mais aussi de la population mondiale, des dégâts environnementaux causés par l’homme, aux probables conséquences désastreuses.
Le premier événement qui a suivi la publication du rapport Brundtland est la création du Groupe d’experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) en 1988, soit un an seulement après, suite à la demande des Etats du G7. Le GIEC est également un organe de l’ONU, dépendant de l’Organisation météorologique mondiale. Sa création succède certainement à l’impact généré par le CMED et son rapport Brundtland sur la société.
L’événement majeur qui s’est déroulé quelques années plus tard, l’un des plus importants dans l’histoire de la lutte mondiale contre le réchauffement climatique est le Sommet de la Terre à Rio de Janeiro en 1992. Ici, plus d’une centaine d’Etats et plus de 1500 Organisations Non Gouvernementales (ONG) étaient réunies pour discuter de pistes et solutions afin de lutter contre le réchauffement planétaire et de préserver l’environnement. Lors de cette conférence des Nations Unies, le rapport Brundtland a servi d’appui et de support majeur pour les discussions et les constats environnementaux, notamment pour pousser le concept de développement durable et d’une économie mondiale croissante prenant en compte l’environnement. Le rapport Brundtland a ainsi fait germer dans les esprits ce qui semble être en 1992 les prémices d’une “économie verte”, terme encore prôné aujourd’hui par certains économistes, mais de plus en plus critiqué. On lui préfère parfois la notion d’économie circulaire, mettant en valeur la notion de recyclage.
Le Sommet de Rio a abouti à l’élaboration de “l’Agenda 21” (ou “Action 21”). Cet agenda est un programme ambitieux vu comme un véritable plan d’actions mondial, que tous les dirigeants se doivent d’appliquer dans les années à suivre, basé sur ce concept de développement durable inculqué par le rapport Brundtland. Plus de 2500 recommandations pour le 21e siècle, construites autour d’une économie croissante et durable, ont ainsi vu le jour pour faire face aux défis globaux.
Naturellement, le sommet suivant, celui de Johannesburg en 2002 est lui aussi un héritage du rapport Brundtland puisqu’il fait un état des lieux des premières réformes et des premiers résultats des décisions prises dans le monde depuis 1992. En plus de faire un bilan de 10 ans de mesures, les discussions se recentrent encore autour du développement durable, mais cette fois-ci en se tournant davantage vers le respect des droits de l’homme et la lutte contre la pauvreté.
Aujourd’hui encore, l’héritage du rapport Brundtland est visible en France. Il est considéré comme un texte fondateur de la République française, donnant lieu à plusieurs concepts, lois et mesures comme notamment la Charte de l’environnement. Cette charte, mise en place en 2005 sous Jacques Chirac, est un texte à valeur constitutionnelle en France, qui reconnaît les droits et responsabilités des acteurs par rapport à la préservation de l’environnement.
Conclusion
Le rapport Brundtland est considéré comme un pilier et un pionnier de la lutte mondiale contre le réchauffement climatique. La notion de développement durable est l’héritage principal laissé par la CMED dirigée à l’époque par Brundtland. Aujourd’hui, le principe de croissance économique présent dans le développement durable fait l’objet de vives critiques qui nient la possibilité d’un développement durable reposant sur ce pilier.