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Le papillon morpho, les ailes du biomimétisme


Le papillon morpho est un des plus beaux papillons du monde, reconnaissable à ses grandes ailes bleues. Fascinant à bien des égards, le morpho intéresse les chercheurs depuis des décennies et ne semble jamais à court de secrets pour nous surprendre. Les exemples d’innovations inspirées des ailes de ce papillon sont très nombreux, et font du papillon morpho un champion du biomimétisme !





Le papillon morpho, un bijou d’ingéniosité et d’innovation


Il existe plus de 100 000 espèces de papillons dans le monde. Ils sont à l’origine d’applications biomimétiques multiples et impressionnantes, comme nous l’avions montré avec l’exemple particulièrement éclairant des papillons de nuit. Le papillon morpho (dont il existe plusieurs dizaines d’espèces) est également à l’origine de nombreux exemples diversifiés de biomimétisme, dont cet article se limite à un aperçu. Le papillon morpho revêt une signification positive et magique selon certaines légendes amazoniennes, qui semble se confirmer au vu de la diversité des innovations scientifiques qu’il a inspirées aux chercheurs !

Le papillon morpho est originaire des forêts chaudes et humides d’Amérique du Sud et d’Amérique centrale, une écorégion à la biodiversité foisonnante. C’est un papillon parmi les plus grands du monde, son envergure pouvant atteindre jusqu’à 20 cm ! L’espèce la plus représentée est le morpho bleu (Morpho menelaus), généralement appelé “morpho commun” ou simplement “morpho”. Ce papillon aux mille et un secrets renferme de nombreux trésors d’ingéniosité naturelle, qui inspirent et émerveillent les scientifiques. Ses ailes ont, par exemple, cinq fonctions distinctes à elles seules : voler, se chauffer, séduire les femelles, évacuer l’eau et empêcher les bactéries et poussières de s’y fixer ! Les innovations biomimétiques inspirées des ailes du morpho sont incroyables, qui sait jusqu’où son vol nous portera ?



Quand le papillon morpho nous apprend à voler


Le papillon morpho a une façon bien à lui de voler. Pour battre des ailes, il est important de pouvoir contrôler le flux d’air généré à chaque battement afin de diriger son vol. Dans le livre L’éveil du Morpho, le physicien Serge Berthier explique que le papillon morpho utilise pour cela la circulation de la lymphe, l’équivalent du sang chez les insectes. Lorsque la lymphe est envoyée en grande quantité dans les ailes, celles-ci se rigidifient. Le papillon morpho utilise alors ce phénomène lorsqu’il rabat ses ailes vers le bas afin de générer une force de poussée. Au contraire, lorsque ses ailes remontent, la lymphe se retire et les amollit, ce qui permet au papillon morpho de ne pas se faire propulser vers le bas. Cette technique a été transposée à des technologies modernes, notamment sur de petits drones à battement d’ailes imitant ce principe pour voler !




Papillon morpho et panneaux solaires


Se maintenir à la bonne température


Avant de voler, il faut pouvoir décoller ! Il est important pour le papillon morpho de pouvoir chauffer son corps au petit matin avant de s’élancer dans les airs. Il s’y prend en contractant alternativement des muscles au niveau de ses ailes, qui vont lui permettre de s’échauffer à la bonne température. Chez les êtres à sang chaud, l’afflux de sang permet de réguler la température. Cependant, le papillon morpho étant poïkilotherme, soit à sang froid, il est crucial pour lui de trouver des alternatives. Et là encore, il a plus d’un tour dans son sac : il peut ajuster ses écailles afin d’émettre des ondes infrarouges et libérer de la chaleur quand il fait trop chaud, et au contraire d’inhiber leur émission quand il fait froid pour conserver l’énergie solaire. Les écailles de l’aile du papillon morpho sont composées de chitine, une molécule dont la taille avoisine le nanomètre (milliardième de mètre). C’est elle qui est responsable de la régulation thermique du papillon. Après 40°C, les papillons ne peuvent pas transpirer. La chitine émet dans l’infrarouge au-delà de cette température pour refroidir le papillon morpho, et l’absorbe en-deçà pour le réchauffer. Un vrai bijou technologique !

D’après le Muséum National d’Histoire Naturelle, ainsi qu’un article du Monde, ce phénomène intéresse les chercheurs pour la conception de panneaux solaires photovoltaïques plus rentables, qui évitent le problème trop commun de la surchauffe. En effet, le rendement des panneaux photovoltaïques diminuant quand leur température augmente fortement, on a tout intérêt à les maintenir à une bonne température. Grâce au papillon morpho, on peut apprendre à créer des panneaux solaires qui se thermorégulent, en adaptant ce mécanisme aux températures adéquates pour la production d’énergie. Cet exemple d’innovation biomimétique nous offre également la possibilité de concevoir des écrans consommant moins d’énergie, des tissus autorégulants pour le textile, des photodétecteurs ou des capteurs infrarouges ! Et nous ne sommes pas au bout de nos surprises...




Le papillon morpho, aux couleurs de l'innovation


La couleur structurelle et ses applications


La raison pour laquelle le papillon morpho est si populaire auprès des chercheurs est sans doute l’origine de sa belle couleur bleue. La plupart des animaux doivent leur couleur à des molécules appelées pigments. Par exemple, le papillon cubain Eurytides celadon arbore des ailes teintées d’un bleu pigmenté. Le papillon morpho, lui, doit sa couleur à un phénomène tout à fait différent, lié à la structure de ses ailes ! On parle de couleur structurelle.

Le papillon Eurytides celadon

Le papillon morpho

Cette couleur structurelle est due à la périodicité des stries qui creusent les ailes du papillon morpho, ainsi qu’à un empilement de lamelles qui les surplombe, comme illustré ci-dessous :


Gros plan d’une aile de papillon morpho

Cela a pour effet de faire interférer la lumière, et de ne réfléchir que le bleu. Cette couleur est beaucoup plus robuste que les pigments, qui ont tendance à se dégrader rapidement après la mort des individus. L’étude des couleurs structurelles fait partie d’un champ de la physique appelé photonique, très en vogue et riche d’exemples d’applications en biomimétisme.

Par exemple, afin de lutter contre la contrefaçon, des moules ont été développés à partir des iridescences du papillon morpho. En reproduisant la structure des écailles de ses ailes en négatif sur l’intérieur du moule et en contrôlant la dimension des reliefs, un motif coloré unique est conféré au produit moulé, qui permet de l’identifier. Cette technique peu chère et très généraliste est un exemple efficace de biomimétisme inspiré du papillon morpho !

Un autre exemple est l’utilisation de cette structure pour détecter du gaz. En effet, les ailes du papillon morpho brillent d’une couleur différente en fonction du liquide ou du gaz dans lequel elles sont immergées en raison de la vitesse de propagation de la lumière en son sein. Cette particularité peut être utilisée conjointement à une caméra pour détecter la présence de gaz et leur concentration. Partons désormais en promenade pour découvrir encore d’autres surprises de ce lépidoptère si surprenant...




Le papillon morpho, le fakir de la rivière


La superhydrophobie des ailes du papillon morpho


Un jour que le physicien Serge Berthier se trouvait en pleine forêt amazonienne pour étudier les papillons morphos, il en trouva un à la surface d’une rivière, les ailes sous l’eau. Quelle ne fut pas sa surprise quand il le vit s’enfuir en nageant (oui, il sait nager !) puis ressortir de l’eau les ailes parfaitement sèches ! Et en effet, malgré la forte humidité et les pluies abondantes en ces régions, les ailes du papillon morpho sont toujours sèches.

Cela est dû à un phénomène appelé effet fakir, en référence à la faculté prêtée à ces derniers de tenir en équilibre sur une planche cloutée sans s’y enfoncer. En effet, les gouttes d’eau qui se trouvent sur les ailes du papillon morpho sont comme posées à leur surface, et ne s’y accrochent pas du tout, restant presque sphériques.

C’est ce qu’on appelle la superhydrophobie : l’eau se replie sur elle-même plutôt que d’interagir avec les nanostructures des ailes dont la surface est très faible, et glisse dessus sans les mouiller. Cette propriété est très commune dans le monde du vivant, et est exploitée afin de créer des membranes filtrantes ou des revêtements capables de limiter les frottements avec un fluide dans un contexte industriel. Elle peut même servir à faire le ménage sans se fatiguer...



Le caractère autonettoyant des ailes du morpho


À la différence des mouches, qui nettoient leurs ailes et leurs yeux à l’aide de leurs pattes, celles du papillon morpho sont trop courtes pour lui permettre d’atteindre ses grandes ailes. Heureusement pour lui, il n’en a nul besoin ! En effet, les écailles qui les recouvrent s’imbriquent comme des tuiles, ce qui crée un déplacement des gouttes d’eau dans un sens, vers l’extérieur des ailes. Or, souvenez-vous, les gouttes n’adhèrent pas aux ailes du papillon morpho ! Elles glissent, et emportent sur leur passage les bactéries et les poussières qui s’y trouvent. Un vrai nettoyage au Kärcher, et sans effort ! Le biomimétisme n’a pas tardé à s’inspirer de cet ingénieux mécanisme pour créer des surfaces autonettoyantes, comme des vitrages reproduisant la texturation des ailes du papillon morpho par des techniques d’impression 3D, beaucoup plus économes que les vitres classiques.




Tous ces exemples de biomimétisme inspiré des propriétés fabuleuses du papillon morpho montrent que le vivant et la biodiversité regorgent d’ingéniosité pour nous aider à répondre à nos besoins. Nous nous sommes intéressés aux ailes du papillon, mais que dire du reste de son corps ? Il reste nombre de propriétés fascinantes à explorer et transposer pour innover, à commencer par les crochets de ses griffes semblables à du velcro… Tant de promesses et de preuves d’application qui ne peuvent que nous encourager à protéger la biodiversité pour le profit de tous !




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