La biodiversité, la diversité du monde vivant, est une source intarissable d’apprentissages. Pour assurer l’avenir de notre planète, et le nôtre, la biodiversité constitue une force majeure, que l’on ne peut pas négliger.
La ou les biodiversités ?
Les naturalistes s’intéressent depuis des siècles à la biodiversité, la diversité des êtres vivants avec lesquels nous partageons la Terre. Des savants de la Grèce antique cherchaient déjà à comprendre comment fonctionne et s’organise le monde du vivant. Aristote, considéré par certains comme le père de la biologie, a consacré une partie de son œuvre à l’étude du vivant et a notamment réalisé une des premières classifications systématiques des êtres vivants. Il aura tout de même fallu attendre le XVIIIème siècle et le travail de Carl Von Linné pour que les bases du système moderne de classification des espèces soient posées. Cette classification fonctionne avec différents groupes, hiérarchisés aux niveaux de granularité variables. Les êtres vivants sont ainsi classés par Règne, Embranchement, Classe, Ordre, Famille puis Genre et espèce, avec un certain nombre de niveaux intermédiaires selon les besoins. C’est d’ailleurs aussi à Linné que l'on doit la combinaison de deux mots latins pour désigner les espèces, le premier correspond au Genre et le second, l’épithète spécifique, sert pour identifier l’espèce au sein du genre. Par exemple, si on enlève les niveaux intermédiaires de classification, l’espèce humaine appartient au règne des Animalia, à l’embranchement des Chordata, la classe des Mammalia (les mammifères), à l’ordre des Primates, la famille des Hominidae et enfin au genre Homo, avec le qualificatif Sapiens (signifiant sage), ce qui nous donne l’homme moderne. Les êtres vivants sont ainsi regroupés selon les caractères qu’ils partagent ou selon leur proximité génétiques au sein de cette grande classification du vivant.
Cela dit, le terme de biodiversité est en fait très récent, le concept ayant été popularisé dans les années 80 à la suite d’un colloque et d’un rapport intitulé “BioDiversity” qui a permis de diffuser et généraliser le terme. On parle souvent de biodiversité, mais qu’entend-on exactement par ce mot ? La diversité biologique, ou biodiversité, est définie lors de la convention de Rio de Janeiro en 1992 comme “la variabilité des organismes vivants de toute origine y compris, entre autres, les écosystèmes terrestres, marins et autres écosystèmes aquatiques et les complexes écologiques dont ils font partie ; cela comprend la diversité au sein des espèces et entre espèces ainsi que celle des écosystèmes.”
Concrètement, on peut considérer plusieurs niveaux d’organisation au sein de la biodiversité : diversité des écosystèmes (écologique), des espèces (spécifique) et des gènes (génétique). C’est aussi lors de cette convention qu’est porté pour la première fois à l’international le constat de la dégradation du patrimoine naturel à l’échelle planétaire. Depuis l’apparition de la vie il y a 3,8 milliards d’années et l’augmentation rapide de la biodiversité lors de l’explosion cambrienne (de la biodiversité) il y a 500 millions d’années, elle a subi 5 extinctions de masse, lors desquelles au moins la moitié des espèces disparaissent. La plus grande de toutes, (l’extinction permienne) a eu lieu il y a près de 250 millions d’années et a causé la disparition de 95% des espèces vivantes. A l’inverse des 5 extinctions mentionnées, la 6ème extinction de masse à laquelle nous assistons est beaucoup plus rapide que les dynamiques biologiques. C’est une extinction anthropogénique, elle est directement liée aux activités humaines.
La biodiversité, toute de chiffres vêtue
Et vous, vous en comptez combien ?
L'Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN), une ONG qui recense les espèces et publie chaque année la liste des espèces en danger, estimait en 2021 à 2,12 millions le nombre d’espèces identifiées et nommées. Cette estimation du nombre d’espèces décrites présente plusieurs points faibles. Le premier point faible est que la biodiversité à l’échelle planétaire est très complexe à étudier car il y a un nombre considérable d’espèces à décrire et à intégrer dans la classification du vivant. Une estimation très souvent citée place à 8,7 millions (+ ou - 1,3) le nombre d’espèces sur terre, mais les estimations s’étalent entre 3 et 100 millions, et nous n’aurons probablement jamais fini ce gigantesque travail d’identification du vivant. Le second point faible réside dans le fait que cette étude des espèces vivantes est réalisée par des êtres humains, qui ont la fâcheuse tendance à ne pas être parfaits et commettre des erreurs. Une proportion non négligeable des espèces décrites le seraient en fait plusieurs fois, et auraient donc des synonymes, c’est-à-dire que la même espèce existe sous des noms différents. Une étude parue en 2013 dans la revue Science estimait que 20% des espèces décrites alors étaient en réalité des synonymes pas encore identifiés, réduisant de 1,9 millions de l’époque à environ 1,5 millions le nombre réel d’espèces décrites. Les milieux de vie parfois difficiles d’accès des êtres vivants compliquent également la tâche, il est beaucoup plus simple d’étudier des mammifères vivant en milieu terrestre que de s’intéresser à des êtres unicellulaires vivant au fond des océans, comme nous le disions dans notre article Biomimétisme & Océan.
Enfin, compte tenu de nos capacités limitées pour identifier les espèces vivantes et de l'accélération de la disparition des espèces, des êtres vivants vont inévitablement disparaître avant même que nous n’ayons réalisé leur existence et nous n’aurons jamais pu les observer de leur vivant.
Les coléoptères, champions de la biodiversité ?
Les champions de la biodiversité animale sont les invertébrés, qui pourraient représenter jusqu’à plus de 90% des espèces animales. Au sein des invertébrés, c’est la classe des insectes qui remporte la palme d’or de la diversité spécifique, avec plus de 1 million d’espèces décrites, soit près de la moitié des êtres vivants identifiés. Encore plus précisément, les coléoptères sont très souvent cités comme l’ordre d’animaux à la diversité spécifique la plus élevée. Cette perception est peut-être biaisée par le fait que leurs couleurs magnifiques en ont fait des animaux prisés des collectionneurs entomophiles depuis l’époque de Darwin. Forcément, ces accumulations de spécimens sont venues accompagnées de connaissances facilement disponibles pour les scientifiques, ce qui explique le très grand nombre d’espèces de coléoptères décrites. Mais d’après une étude réalisée par des chercheurs de l’université d’Iowa en 2018, ce serait en fait l’ordre des hyménoptères, contenant fourmis, abeilles et autres guêpes, qui comportent le plus grand nombre d’espèces. En effet, cet ordre contient un très grand nombre d’espèces d’insectes définies comme parasitoïdes, dont le parasitisme mène éventuellement à la mort de l’hôte. Ces guêpes parasitoïdes pondent leurs œufs directement dans l’hôte et les larves n’ont qu’à se servir sur le buffet à volonté que constitue ce dernier. Ces guêpes sont souvent très petites, avec des adultes mâles mesurant parfois 0,2 millimètres de long, soit plus petits que certains êtres vivants unicellulaires comme l’amibe protée (Amoeba proteus). Inévitablement, leur petite taille complique grandement leur étude. Des modèles mathématiques basés sur le nombre d’espèces de ces guêpes qui ont pour hôtes les coléoptères répartis dans 4 genres ont été appliqués aux 4 ordres d’insectes aux plus grands nombres d’espèces. Ces modèles suggèrent que les hyménoptères auraient en fait entre 2,5 à 3,5 fois plus d’espèces que les coléoptères, avec entre 880 000 ou plus de 1,150 millions d’espèces selon l’estimation.
Qui pèse le plus lourd dans la balance ?
Si l’on s’intéresse à la répartition de la matière organique, la biomasse, entre les différents être vivants, on réalise que les êtres humains ne sont qu’une infime partie de la masse des êtres vivants avec qui nous partageons la Terre. Ce sont les plantes qui remportent, et de loin, la première place du classement, car elles composent plus de 82% de la biomasse terrestre. Viennent ensuite les bactéries avec presque 13% de la biomasse. Alors qu’à eux seuls les insectes comptent pour presque 50% des espèces décrites, les animaux ne constituent en fait que 0,4% de la biomasse totale ! Vous pensez que l’humanité correspond à quel pourcentage de la biomasse totale des animaux ? En réunissant les 8 milliards d’êtres humains, on atteint seulement 2,5% de la biomasse animale. Encore plus impressionnant, l’humanité ne correspond qu’a 0,01% de la biomasse terrestre totale ! L’humanité, bien que son activité soit visible presque partout sur notre belle planète, ne représente donc presque rien dans la balance de la biomasse terrestre.
Biodiversité et humanité, une relation à deux vitesses
Vous avez dit combien ?
La biodiversité possède une valeur intrinsèque, indépendante des bénéfices qu’elle nous procure : elle est composée de tous les êtres vivants, qui ont un droit inaliénable d’exister. Il est donc de notre devoir moral et éthique de la protéger. La biodiversité est bénéfique pour elle-même, un mélange d’espèces plus riches aura tendance à produire plus de biomasse et mobiliser plus de ressources, constituant un système plus productif qu’un mélange d’espèces plus restreintes. La biodiversité nous rend évidemment des services culturels liés à son esthétisme, au potentiel spirituel, historique ou identitaire de certains milieux naturels. Ces services sont liés à la valeur patrimoniale de la biodiversité, qui appuient encore la nécessité de la protéger. Cependant, en tant qu’êtres humains, nous avons beaucoup de mal à considérer la biodiversité pour sa valeur intrinsèque ou patrimoniale, et notre vision anthropocentrée de la biodiversité aura tendance à plus s’intéresser à la valeur de ce qu’elle peut nous apporter. C’est la valeur utilitaire de la biodiversité. Cette valeur utilitaire est liée aux ressources qu’on prélève au sein de la biodiversité et aux services qu’elle fournit à l’humanité. C’est au sein de la biodiversité qu’on prélève de nombreux matériaux qu’on utilise dans des industries diverses comme la construction, les textiles, mais elle constitue également notre nourriture via ce qu’on appelle les services d’approvisionnement, c’est à dire les cultures, l’élevage de bétail, … La régulation de la qualité de l’air par la capture du dioxyde de carbone et l’émission de dioxygène, le contrôle de l’érosion et/ou la régulation des eaux constituent des services dits de régulation. Il est évident qu’estimer la valeur financière de tous les services que nous rend la biodiversité est une tâche très compliquée, mais une étude estime entre 125 et 140 trillions la valeur économique totale de tous les services que la biodiversité nous rend, soit plus de 1,5 fois le PIB mondial !
La biodiversité, alliée insoupçonnée contre le changement climatique
Malheureusement, malgré le très grand nombre de services que nous rend la biodiversité, nous ne sommes pas toujours bien intentionnés envers elle. En effet, les activités humaines engendrent des modifications néfastes pour la biodiversité. La destruction des habitats naturels, par exemple pour augmenter la surface de terres agricoles conduit à une fragmentation des habitats, fortement nuisibles aux êtres vivants. La surexploitation des ressources, notamment avec la surpêche, menace directement la biodiversité. De plus, les activités humaines et le changement climatique qu’elles engendrent font peser une très forte pression sur la biodiversité planétaire.
Une étude publiée dans Nature explique que la perte de biodiversité pourrait ne pas suivre une pente douce, mais plutôt une série de rapides chutes en escalier. Les espèces vivantes peuvent supporter des températures supérieures jusqu’à un certain seuil. Si ce seuil est dépassé, une grande proportion d’espèces se retrouvent alors exposées à des conditions pour lesquelles elles ne sont pas adaptées, et les écosystèmes pourraient s'effondrer brutalement, conduisant à des pertes irrémédiables de biodiversité. Un rapport produit par l’IPBES (Intergovernmental Science-Policy Platform on Biodiversity and Ecosystem Services) estime qu'à peu près 1 million d’espèces d’animaux et de plantes sont menacées d’extinction dans les prochaines décennies.
Bien que la biodiversité soit directement menacée par le changement climatique, elle pourrait également constituer une alliée de poids pour lutter contre celui-ci. Malheureusement, comme le rappelait Sidney Rostan, le CEO de Bioxegy, dans La Tribune, elle est encore trop peu présente dans les discours politiques, dont celui de Joe Biden pour les élections américaines en 2020. En effet, la biodiversité et son état sont directement liés aux dérèglements climatiques comme les sécheresses, les émissions de gaz à effet de serre… En somme, lutter contre le changement climatique, c’est lutter pour la protection de la biodiversité.
Permettre aux écosystèmes de se développer pour exploiter leurs potentiels de pièges de carbone, de protection contre les inondations ou pour refroidir les villes par exemple, permettrait de lutter efficacement contre le changement climatique tout en permettant au minimum le maintien de la biodiversité. Par exemple, les mangroves dont nous vous en parlions dans un de nos précédents posts, protègent les côtes contre l’érosion et sont aussi très efficaces pour piéger du dioxyde de carbone en grande quantité !
La biodiversité, collègue précieuse pour l’innovation
Chez Bioxegy, on s'intéresse de près aux êtres vivants et on s’inspire de leurs prouesses pour concevoir des innovations, à la fois performantes et durables. Comme on vous en parlait il n’y pas si longtemps, le biomimétisme peut mener aux développement d’innovations dans de nombreux secteurs (comme le sport ou les drones, pour ne citer que ces deux sports sur lesquels nous avons écrit récemment). Le lien entre biodiversité et biomimétisme est donc évident, car c’est elle qui constitue notre base de données de solutions naturelles efficaces pour répondre aux problématiques variées auxquelles nous faisons face dans nos projets d’innovation.
L’inspiration peut aussi résider directement dans l’étude de la diversité entre les espèces. Par exemple, les chiroptères, l’ordre des chauve-souris, est un ordre de mammifères avec une très grande diversité, représentant à peu près 20% des espèces de mammifères, avec plus de 1400 espèces connues. Elles présentent également une aire de répartition planétaire à l’exception de quelques îles isolées et des calottes polaires. Les chauve-souris sont donc adaptées à des environnements très différents et présentent une très grande diversité. Cette diversité se retrouve notamment dans leurs organes qui leur servent à émettre ou détecter les ultrasons grâce auxquels elles se repèrent dans l’espace ou détectent leur nourriture, qu’il s’agisse d’animaux, de fruits ou de fleurs. L’étude de la forme des oreilles ou des museaux en forme de feuilles d’un grand nombre d’espèces de chauve-souris en liant ces formes à leur fonction, pourrait permettre de définir des règles de design. La chauve-souris que nous vous présentons en image possède par exemple des organes adaptés à la chasse à la grenouille. Si une telle base de donnée était suffisamment développée, elle pourrait permettre d’accélérer le développement d’innovations en acoustique en permettant d’identifier des formes particulièrement adaptées pour réaliser la fonction souhaitée.
Bien que ce genre d’études en soient encore à leurs début, elles montrent que le biomimétisme ne repose pas forcément sur l’inspiration d’une espèce en particulier, mais qu’il peut également avoir lieu en recensant, en étudiant et en comprenant les différences de formes et de fonctions entre différentes espèces pour optimiser rapidement des solutions technologiques en fonction du but visé. Ce genre de raisonnement pourrait être appliqué à de nombreux autres sujets, comme la réduction des frottements, les formes aéro ou hydrodynamiques... En effet, nombreux sont les êtres vivants qui sont soumis aux frottements lors de leurs déplacements ou à l’abrasion par la projection de particules comme du sable (on peut par exemple citer le poisson des sables (Scincus scincus) ou de nombreux insectes vivant en milieux désertiques). Si l’on recensait les différentes structures naturelles permettant de réduire et de résister aux frottements en fonction des conditions, cette grande source de connaissance pourrait être utilisée pour développer rapidement des solutions adaptées à tous types de problèmes. Un autre constat que l’on peut réaliser est que dans le biomimétisme, quelques organismes modèles sont sous la lumière des projecteurs, à l’image de la feuille de lotus, énormément étudiée, qui a inspiré de nombreuses innovations grâce à ses propriétés d’hydrophobie. Malheureusement, à se focaliser sur un nombre très restreint d’organismes, on passe probablement à côté d’un gigantesque réservoir de solutions adaptées à différentes contraintes. Il faudrait en quelque sorte biodiversifier le biomimétisme et être capable de s’appuyer sur un nombre beaucoup plus grand d’espèces, de tracer des liens entre les adaptations aux mêmes contraintes pour des individus très divers afin d’en extrapoler des règles de conception solides et éprouvées plusieurs fois dans le vivant. Ces règles pourraient permettre le développement accéléré de solutions ultra-performantes, car déjà testées et approuvées plusieurs fois par le vivant !
La biodiversité de la Terre est si vaste qu’elle en devient difficile à appréhender. Bien qu’elle soit mise à mal par le changement climatique, elle est une alliée de taille pour réduire ses impacts à l’échelle mondiale. C’est aussi une source d’innovation dont les seules limites sont nos capacités d’observation, d’étude, d’imagination et de créativité ! Nul doute que la biodiversité deviendra dans les années à venir une des références en innovation, car elle permet le développement de solutions qui sont à la fois efficaces et durables.
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